Interview: « Le préalable est la mise en place d’un encadrement légal

Nabil Aman Ndikeu Njoya, chargé de cours au département d’économie internationale de l’Institut des Relations Internationales du Cameroun.

Comment appréciez-vous la percée de la crypto-monnaie dans notre environnement économique ?
Depuis une dizaine d’années, le monde assiste à une offre croissante d’actifs monétaires alternatifs, au rang desquels les crypto-monnaies. L’Afrique n’est pas en marge de cette tendance internationale. Dans un pays comme le Nigéria, plusieurs études montrent qu’environ 32% des nigérians effectuent des échanges en crypto-monnaie, pour un volume total de transaction de près de 400 millions de dollars en 2020. De plus, nous observons se multiplier des sociétés de trading en crypto-monnaie, charriant chaque jour de plus en plus d’adeptes. C’est dire que le phénomène est aujourd’hui d’une importance significative mais également en constante progression.

Il faut toutefois rappeler que les « cryptos » dont il est question sont davantage des « crypto-actifs », soit des actifs numériques virtuels qui reposent sur la technologie de la blockchain (chaine de bloc) à travers un registre décentralisé et un protocole informatique crypté. Ce sont des actifs monétaires non contrôlés par une Banque Centrale. Bien qu’elles ne puissent être considérées comme des monnaies au sens strict, car n’ayant pour la majorité pas cours légal, les cryptos remplissent les fonctions d’une monnaie à savoir celle d’intermédiaire dans les échanges, d’unité de compte et de réserve de valeurs. C’est à mon avis cette dernière fonction qui explique l’engouement pour ces actifs, car dans de nombreux pays ayant adopté un régime de change flexible, et donc où la valeur de monnaie peut se déprécier, les individus redoutent que leur épargne perde de la valeur en étant libellée en monnaie nationale.

Ainsi, à leurs débuts, les cryptos semblaient être des alternatives intéressantes car leur valeur avait plutôt tendance à rester stable, voire à s’apprécier du fait de la demande croissante. Cependant, ces dernières années, plusieurs cryptos se sont révélées très volatiles. En 2021, le bitcoin par exemple avait connu une flambée de près de 150% avant de s’effondrer à -30%.

Mais tout ceci ne ralentit pas l’engouement…
Les appréciations qu’ont connues ces cryptos stimulent également des placements spéculatifs suivant le modèle « crypto contre devises » qui peuvent générer des rendements élevés. En effet, l’un des motifs de demande d’actif est le motif de spéculation, et dans ce cadre, les agents économiques recherchent des actifs sur lesquels ils peuvent réaliser des plus-values dans le futur. En somme, la crise de confiance dans les devises ayant cours légal, conjuguée aux stratégies individuelles de diversification de portefeuille ainsi que les rendements escomptés sur spéculation sur ces actifs, peuvent permettre de comprendre cette percée. Il faut cependant rappeler avec insistance que jusqu’à lors, dans la majorité des pays africains, ces actifs n’ont aucun encadrement juridique, d’où les risques élevés que représentent les placements en ces types d’actifs.

Pensez-vous que le Cameroun soit prêt pour cet instrument ?
Au regard de son économie, le Cameroun peut potentiellement être un marché porteur pour les cryptos. Les bilans des banques commerciales montrent que l’épargne publique s’y accroît, le développement financier y est en progression, et les investissements, traduisant en partie la capacité à la prise de risque, augmente également ; ce qui constitue des atouts pour l’expansion des cryptos. Cependant, il faut remarquer que le Cameroun fait partie de la Cemac, et a pour monnaie ayant cours légal le franc CFA. Le franc CFA est une monnaie à une parité fixe avec l’Euro, ce qui en fait une monnaie stable, voire pour certains observateurs, une monnaie « forte » car arrimée à l’Euro qui a généralement tendance à s’apprécier.  La monnaie camerounaise est donc peu exposée aux pertes de valeurs, et le recours aux cryptos dans ce cadre ne serait pas très pertinent.

Aussi, dans le cadre de sa stratégie de transformation structurelle, le Cameroun compte sur une accélération de son commerce extérieur, et donc a besoin pour ce faire, d’une monnaie crédible à l’international, et qui ne saurait donc souffrir des désagréments que pourrait causer la présence d’une alternative moins organisée, en l’occurrence les crypto-monnaies. Par ailleurs, en ce qui concerne le motif de spéculation, il souffre aussi d’une limite, et non des moindres, à savoir le défaut d’encadrement juridique. Bien que la Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique centrale (Cosumaf) se soit engagée à encadrer ce secteur, elle n’a cessé de rappeler ces dernières années que les transactions dont font l’objet les crypto-monnaies sont irrégulières. Ainsi, si le marché peut être porteur, le Cameroun devrait prendre garde à pouvoir préalablement mettre en place un encadrement juridique suffisant et en accord avec les cadres macroéconomiques et monétaires nationaux et sous régionaux.

Quels sont les préalables à intégrer ?
Comme pour tout investissement, le préalable est la mise en place d’un encadrement légal et règlementaire. L’actualité récente fait écho de plusieurs plaintes de personnes ruinées du fait d’avoir investi leur épargne dans des produits en crypto-monnaies, proposée par des entreprises n’ayant pas d’autorisation légale d’exercer. Les rapports liant ces entreprises et leurs clients investisseurs ne sont pas suffisamment clairs et les voies de recours sont parfois inexistantes.

De plus, force est de constater un manque de transparence de ces entreprises quant à leur solvabilité.  Par ailleurs, outre la règlementation, il faut noter que les crypt...

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