Biblio : petits bonheurs, grand malheur

La rue Félix Faure est la rue des immigrés capverdiens qui, depuis plus d'un siècle, ont quitté leur île desséchée pour le continent en face. Une rue hors du commun : vivante, cosmopolite, misérable, joyeuse, débonnaire. C’est la rue de la vie, des bars clandestins, des tripots où coulent à flots le vin Kiravi Valpierre, la bière Gazelle Coumba. S’y côtoient des jeunes femmes aux dos nus, des apprentis philosophes, une chanteuse de blues, des êtres furtifs à la poursuite du rêve dans l'espérance doublée de patience, devise des habitants. Le philosophe en titre du coin la perçoit comme la rue de Dieu. Du coup, ses habitants se méfient surtout des faux-religieux, faux-moqadems imbus de leurs pouvoirs. Et un matin, on y découvre le corps d’un lépreux découpé en morceaux (et pire encore !). Il va dévoiler son histoire et celle de toutes ces femmes qu'il a, au nom de son Dieu, séduites, exploitées, détruites.
L'écriture est étonnante avec des phrases lyriques qui se répètent, se font écho. Elles font penser aux traditions orales africaines, aux litanies religieuses, aux épithètes homériques. En mêlant réalisme et merveilleux, l'auteure dresse de beaux portraits de femmes et défend une certaine idée de l'humanité. Le roman aborde la question de la manipulation et de l’exploitation des femmes par les gourous et les mouvements sectaires de toute obédience, escrocs et profiteurs.
Paru en 2005, le sixième roman de la Sénégalaise Ken Bugul (« personne n'en veut » en wolof) est une belle réussite. Fidèle à son style caractéristique, poétique et incantatoire, elle met en scène avec brio une fausse enquête policière et authentique conte philosophique. Le résultat est un roman tel qu’on l’aime, palpitant, foisonnant, crépitant de suspens et trépignant de vie. Voici la Ken Bugul dont on veut encore et enc...