Quelle société de violence !

Chaque automobiliste camerounais a dû faire cette amère expérience : donner de vigoureux coups de klaxon pour demander à un conducteur de moto-taxi en stationnement abusif, de libérer la voie qu’il encombre exprès. La réaction est presque toujours la même, hostile. Un coup d’œil de l’intéressé pour voir qui ose ainsi l’importuner. Et plus rien. Il ne dira rien, ne bougera pas. Et si vous avez le sang chaud, vous entreprendrez peut-être d’aller lui dire vos quatre vérités. Mais dans ces circonstances, la sagesse recommande de passer son chemin et d’éviter les problèmes. Parce que vous pouvez vous retrouver encerclé par une meute de motards dont les plus belliqueux ne tardent jamais à porter la main sur autrui, mus par une solidarité aveugle qui se soucie peu de la vérité des faits. Une solidarité déplacée qui soutient comme ça, juste pour soutenir, les yeux et les poings fermés.
Les scènes de rue avec les conducteurs de motos-taxis et pratiquement tous les autres usagers de la route sont à l’image des rapports sociaux plutôt tendus que les Camerounais entretiennent dans leur cohabitation quotidienne. C’est là qu’on capte les clichés les plus saisissants. Clichés d’une agressivité souvent gratuite. Résultat : l’espace public ressemble à une espèce de grand exutoire, où chacun vient déverser sa bile, extraite des histoires personnelles de chaque citoyen : une situation sociale en déphasage avec les rêves, un emploi qui fait défaut, la longue attente d’un salaire qui tarde, un bailleur qui met la pression pour le loyer, des factures qui s’accumulent, des charges familiales qui écrasent, une déception sentimentale… Bref, les rues camerounaises donnent cette impression de dépotoir des frustrations. 
Et alors que la communauté internationale a lancé il y a quelques jours, la traditionnelle campagne des 16 jours d’activisme contre les violences faites aux femmes, on ne peut s’empêcher d’avoir une pensée pour ces pauvres dames qui subissent la violence de la rue chaque jour. Simplement parce qu’elles roulent dans une belle voiture. Simplement parce qu’elles demandent la voie, parce qu’elles sont coquettes. Simplement parce qu’elles sont femmes. Parce que dans l’imagerie populaire, la femme qui vit dans le confort matériel n’est qu’une consommatrice. Une profiteuse dont le seul mérite est d’être aimée par un homme nanti, qui la couvre de cadeaux. 
Comme pour la scène avec le conducteur de moto-taxi, la femme au volant d’une belle voiture aurait encore moins le droit de se plaindre, de demander le droit à jouir de la voie publique au même titre que tous les autres usagers. Elle en aurait moins le droit que les autres, parce que les autres s’imaginent difficilement que cette voiture a été acquise à la sueur de son front. Qu’elle a fait ses études, brillamment, qu’elle a un emploi confortable, qu’elle peut s’acheter elle-même ce dont elle a besoin. Non, dans la rue, ce n’est pas envisageable. Et le moindre accrochage se termine souvent par des injures et des mots durs, qui rabaissent la femme, piétinent sa dignité, et la relèguent au second rang. On est pourtant bien en 2022, en plein dans un 21e siècle qui à force de plaidoyers et de batailles, restitue chaque jour à la femme, toute la place qu’elle mérite au sein de la société. Une place qui ratisse de plus en plus large, grâce à des politiques de promotion de la femme toujours plus ambitieuses. Mais manifestement, il en faut encore plus, pour intégrer que la femme ce n’est pas (seulement) la « cuisine ». Mais que la femme c’est aussi le salon, le garage, le bureau de directeur, le siège de député, de maire, le grade de colonel, le fauteuil de ministre…
Il y a donc du travail au niveau des mentalités. D’autant plus que la violence est quasiment générale, et que les plus vulnérables en subissent souvent les conséquences de plein fouet. Les femmes dont on vient de parler. Mais aussi les enfants et les jeunes. Les tranches de la population qui ont le plus besoin de protection, sont curieusement les plus exposées à cette vague de violence. Et on y trouve par dizaines, des victimes de maltraitance, d’abus sexuels, de meurtres. La chronique des faits divers dans les médias, s’enrichit chaque jour d’un nouveau cas, d’une nouvelle découverte macabre. Avec souvent dans le rôle de bourreau, un père, un grand-père, un oncle, un ami de la famille. 
Pour sortir de cette spirale qui empoisonne les rapports sociaux, la société cam...

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