Interview : « Notre riche biodiversité est une matière première pour l’industrie »

Hélé Pierre, ministre de l’Environnement, de la Protection de la nature et du Développement durable.


Monsieur le ministre, vous venez d’organiser le premier forum national sur les ressources génétiques. Quels objectifs voulez-vous atteindre à travers cette initiative ?
En lançant son premier Forum national sur les ressources génétiques, nous visions plusieurs objectifs : la sensibilisation, l’éducation et l’information. Il est question de sensibiliser les parties prenantes, au premier rang desquels les décideurs politiques, les chercheurs, les entreprises et les communautés locales, sur l'importance des ressources génétiques et leur potentiel économique et écologique. Il était également question de diffuser des connaissances : partager des informations sur les pratiques durables et les cadres législatifs régissant l'accès et le partage des avantages des ressources génétiques. Nous visions aussi la promotion de la conservation et de l'utilisation durable ; la préservation de la biodiversité en mettant en lumière les initiatives de conservation et encourager la protection des écosystèmes et des ressources génétiques. Le renforcement de la coopération et des partenariats est aussi l’un des objectifs que nous visions.

Le développement économique que nous voulons va valoriser les ressources en mettant en avant le potentiel économique des ressources génétiques pour créer des opportunités de revenus et de développement économique, en particulier pour les communautés locales. Le partage des bénéfices consistera à assurer un partage équitable des avantages découlant de l'utilisation des ressources génétiques, conformément aux principes du Protocole de Nagoya. La mise en œuvre de la loi APA et du Protocole de Nagoya va renforcer les capacités en développant les compétences techniques et institutionnelles nécessaires pour la mise en œuvre efficace du Protocole de Nagoya sur APA. Il faudrait aussi encourager la conformité en promouvant le respect du cadre légal et réglementaire aux niveaux national et international relatif à APA.

L’innovation et la recherche ne sont pas en reste, car nous stimulons la recherche à travers l’encouragement de la recherche scientifique et technologique sur les ressources génétiques pour découvrir de nouvelles applications et innovations. La facilitation du partage de connaissances va créer une plateforme pour partager les résultats de la recherche et les meilleures pratiques entre les chercheurs et les institutions. Ainsi, en réunissant un large éventail de participants et en facilitant les discussions et les échanges, le Forum national sur les ressources génétiques a pour but de créer un élan collectif en faveur de la conservation, de l'utilisation durable et de la valorisation des ressources génétiques du Cameroun. Cela contribue non seulement à la protection de la biodiversité, mais aussi au développement socio-économique du pays.


Que représentent les ressources génétiques dans une économie comme celle du Cameroun ? En termes de potentiel d'abord, puis de manière concrète ?
Les ressources génétiques sont des éléments de la biodiversité du Cameroun. Et l’on sait combien cette biodiversité est importante. Le Cameroun est un véritable havre de biodiversité avec à ce jour près de 11.173 espèces connues et étudiées parmi lesquelles : 9000 espèces de plantes, 849 espèces d’oiseaux, 409 espèces de mammifères, 285 espèces de reptiles, 183 espèces d’amphibiens et 542 espèces de poissons. Cette biodiversité ainsi que les savoirs traditionnels associés sont la base de la subsistance et des revenus des populations qui y tirent médicaments, nourriture, produits cosmétiques, matériaux de construction, etc.

Elle est aussi une matière première pour l’industrie et la biotechnologie qui génère des revenus non négligeables pour les entreprises et l’Etat. Selon les études récentes, plus de 1000 espèces camerounaises font l’objet d’activités de recherche à travers le monde et permettent de découvrir des millions de molécules qui présentent un potentiel économique certain. Malheureusement, le Cameroun ne tire pas suffisamment profit de cette riche biodiversité. Si vous prenez seulement le cas de Prunus Africana, cet arbre qui pousse dans la chaine du Mont Cameroun et dont les écorces sont la matière première pour la fabrication du Tadenan, médicament utilisé pour soigner la prostatite, entre 2004 et 2010, la production moyenne annuelle de Prunus Africana était de 592 tonnes d’écorces. Pour un prix moyen d’achat matière première de 600F/kg, la vente de cette écorce rapporterait chaque année à notre pays environ 355 millions F. L’exploitation des ressources génétiques de cette écorce dans l’industrie pharmaceutique rapporterait pour 1kg de matière brute transformée, environ 500.000 F selon des études de marché réalisé en Europe.

La valeur marchande de 592 tonnes rapporterait environ 300 milliards de F aux entreprises qui les exploitent. En émettant l’hypothèse que le bénéfice de ces entreprises est de 5% sur cette valeur marchande, cela correspondrait à un bénéfice net d’environ 15 milliards de F. Si l’on considère le scénario brésilien où 1% du bénéfice issu de l’exploitation de telles ressources est partagée avec l’Etat, c’est environ 150 millions de F qui rentreraient dans les caisses de l’Etat chaque année.

Si les 1000 espèces camerounaises qui font l’objet de travaux de recherche poussés dans divers laboratoires nationaux et internationaux font l’objet d’une telle valorisation industrielle avec le même potentiel de rentabilité, c’est environ 150 milliards de F qui pourraient rentrer dans le trésor public chaque année. C’est dire qu’il y a un réel potentiel dans nos ressources génétiques, et si leur exploitation est bien encadrée suivant les principes édictés par le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques, et le partage équitable des bénéfices découlant de leur utilisation, elles peuvent significativement contribuer à notre économie. D’une manière générale, le potentiel des ressources génétiques pour l’économie du Cameroun se décline en dimensions interconnectées notamment : le riche potentiel en biodiversité ; les opportunités de recherche et de développement ; la conservation et le développement durable.

Tout ceci avec un impact économique concret sur : l’agriculture et l’alimentation ; l’Industrie pharmaceutique et cosmétique ; le tourisme écologique et le développement communautaire. En somme, les ressources génétiques représentent un atout stratégique pour l'économie du Cameroun. Leurs valorisation et gestion durable peuvent apporter des bénéfices significatifs, tant en termes de développement économique que de conservation de la biodiversité. Le Cameroun dispose ainsi d'un potentiel immense pour bâtir une économie verte et durable, tout en améliorant les conditions de vie de ses populations.


Quels sont les obstacles à la promotion et à l'exploitation des ressources génétiques du Cameroun ?
La promotion et l'exploitation des ressources génétiques du Cameroun fait face à un certain nombre d’obstacles : le manque de connaissance et de sensibilisation, c’est-à-dire l’ignorance des parties prenantes car de nombreuses communautés locales et entreprises ne sont pas suffisamment informées sur l'importance et les avantages des ressources génétiques. La sensibilisation insuffisante cause un besoin accru de campagnes de sensibilisation pour éduquer le public sur les bénéfices potentiels et les pratiques...

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