Corridors de transit : l’urgence d’assainir

La diminution progressive du flux de camions en provenance ou en partance pour le Tchad, dans la ville de Kribi sur la côte atlantique du Sud-Cameroun, n’échappe pas à l’observation des habitants de cette cité balnéaire ces derniers jours.

 

Est-ce la conséquence de la convention relative au transport et au transit des marchandises à destination ou en provenance du Tchad, via les ports de la Guinée équatoriale ? Accord signé le 13 décembre 2024 à Malabo, entre la ministre des Transports, de l’Aviation civile et de la Météorologie nationale, Fatima Goukouni Weddeye, et son homologue équato-guinéen, Honorato Evita Oma, en présence du Premier ministre, Manuel Osa Nsue Nsua. En effet, cet accord fixe les conditions d’utilisation des installations portuaires de la Guinée équatoriale pour le transit et le transport des marchandises à destination et en provenance du Tchad, pays de l’hinterland. L’ouverture du port de Bata au transit des marchandises du Tchad confirme la reconfiguration en cours des enjeux géoéconomiques en Afrique centrale. Car, alors que le Tchad était jusque-là très dépendant des ports camerounais de Douala et de Kribi pour importer et exporter l’essentiel de ses produits, ce pays, dans sa quête de diversification des couloirs de transit, bénéficie déjà des infrastructures portuaires de la Guinée équatoriale. Le port de Bata, classé deuxième port le plus compétitif de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) en 2023, se positionne ainsi comme un sérieux concurrent qui propose un autre hub logistique majeur dans cet espace géographique.
Pourquoi en est-on arrivé à l’émergence d’un nouveau corridor partant de la Guinée équatoriale et qui pourrait contourner le Cameroun, même si certains transporteurs camerounais desservant ce pays continueront à circuler sur les tracés Douala-N’Djamena et Kribi-N’Djamena ? La réponse est à chercher dans les récriminations récurrentes et « restées lettre morte » exprimées par les transporteurs sur ces corridors. Qui ignore les nombreux contrôles et actes de corruption nuisant au bon déroulement du commerce et du transit des marchandises sur ces axes devenus de véritables parcours d’obstacles pour les camionneurs ? Ces derniers sont régulièrement confrontés à des contrôles excessifs et à des pratiques peu orthodoxes au niveau des barrières illégales de police ou de gendarmerie. Ce qui provoque des retards et d’importants manques à gagner. Ajoutons à la liste des plaintes, le mauvais état du réseau routier à l’origine des accidents (renversement des containers) et la détérioration précoce du matériel roulant. On comprend donc pourquoi les autorités de N’Djamena ont conclu un accord avec la Guinée équatoriale afin de multiplier leurs voies d’accès aux marchés internationaux. Le Tchad espère, par cette initiative, alléger ces contraintes et optimiser son commerce. Le nouveau partenariat le liant à un concurrent voisin mettra à coup sûr en difficulté des pans de l’économie camerounaise, quand on sait que la plus grande partie des exportations et des importations du Tchad (au moins 90%) passe par le Cameroun. La Guinée équatoriale va ainsi pouvoir tirer profit d’une partie des flux commerciaux en provenance ou à destination du Tchad. « Les pertes seront énormes », confie un haut responsable du Port autonome de Kribi (Pak). Difficile pour le moment de les chiffrer mais diverses estimations d’experts évoquent un montant qui dépasserait, à terme, quelques centaines de milliards de F par an. Il s’agit, non pas des pertes de recettes douanières puisqu’on est en régime suspensif (la douane ne perd rien), mais plutôt de l’impact négatif qu’aura la nouvelle donne sur le business né au Cameroun autour du commerce extérieur tchadien : frais de stationnement dans les ports, déclarants qui perdront des honoraires, frais d’hôtels, de carburant, de restauration et autres qui vont diminuer.  
Bref, plusieurs emplois directs et indirects sont menacés. Par ailleurs, d’un point de vue géostratégique, le rapprochement entre N’Djamena et Malabo remet en question la position dominante du Cameroun dans la sous-région car, jusqu’ici, le pays qui a longtemps dominé le transit commercial dans la Cemac, doit s’attendre à voir, sauf retournement de situation, un volume important des échanges être dévié vers les ports équato-guinéens. Pour arracher sa part de ce juteux marché du transit qui profitait au Cameroun, on se demande ce qu’a proposé Malabo à N’Djamena en ce qui concerne la fluidité du trafic et la simplification des procédures, entre autres. Certes, accéder aux clauses confidentielles de ce deal relève de la gageure, mais on peut imaginer que si les Tchadiens n’avaient rien à gagner en s’accordant avec Malabo, ils n’auraient pas créé cet autre corridor.
En tout état de cause, si le Cameroun a oublié ...

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