Interview : « Il existe des enjeux et des intérêts croisés entre ces deux pays »

Pr Eric Gatsi Tazo, Maître de conférences en Droit public à la Faculty of Laws and Political Science, Université de Buea, chercheur senior au Centre africain d’études internationales, diplomatiques, économiques et stratégiques (Ceides).


La République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda sont sur le pied de guerre depuis que l’armée congolaise a lancé un important déploiement à l’Est du pays, alors que la rébellion du M23 est en pleine conquête de Goma. A cette allure, n’y a-t-il pas risque d’une guerre ouverte entre les deux voisins ? 
Il y a a priori peu de chance qu’en l’état actuel des choses, la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, en arrivent à une guerre ouverte, pour la simple raison que l’un des deux, en l’occurrence le Rwanda, n’assume pas le rôle qui lui est imputé dans la guerre à l’Est de la RDC. En revanche, il existe des enjeux et des intérêts croisés entre ces deux pays dans cette partie de la RDC en proie à un conflit armé depuis 2004 et dont le bilan humain (morts, réfugiés, déplacés internes, etc. est plus que conséquent. Il convient en effet de rappeler que les relations entre ces deux pays ont d’abord été celles d’appui mutuel, avant de dégénérer au gré des intérêts des uns et des autres. La RDC a servi de territoire d’accueil de millions de tutsi rwandais qui ont dû s’y réfugier pendant le génocide pour échapper au massacre, et des hutu qui s’y sont exilés à la fin du génocide pour fuir les représailles sanglantes du nouveau régime. En contrepartie, le Rwanda a servi de base arrière aux rebelles congolais emmenés par Laurent Désiré Kabila qui renversa Mobutu en 1997. Cette accalmie diplomatique entre les deux Etats prendra un coup avec l’accession de Joseph Kabila à la tête de la RDC, succédant à son père assassiné. Le nouveau président verra la trop grande présence des rwandais à l’Est de la RDC d’un mauvais œil, et les accusera de jouer un rôle dans les conflits qui commencent à s’enliser. De soutien sûr, le gouvernement rwandais devient ennemi. Ce changement de paradigme diplomatique s’illustre bien dans la configuration sécuritaire de l’Est de la RDC. D’une part, on a le Mouvement pro-rwandais du 23 mars plus connu sous le nom de M23, essentiellement formé d’ex-réfugiés tutsi rwandais, créé à la suite de l’échec de l’accord de paix de 2005 qui prévoyait entre autres l’absorption des miliciens rwandais dans l’armée et la police congolaises. D’autre part, on a les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) essentiellement composées de miliciens hutu, créés avec l’ambition de renverser le président rwandais Paul Kagamé, et qui utilise le territoire congolais comme base arrière à cette fin.


A plusieurs reprises, la communauté internationale a invité le Rwanda à cesser tout soutien au M23. Mais, ces appels ne semblent pas être suivis. Comment amener Kigali à se plier à cette exigence ? 
D’abord il faut rappeler que le Rwanda n’a jamais admis jouer un quelconque rôle dans le conflit à l’Est de la RDC. Sa position officielle sur la question est constante : elle n’a rien à y voir. Les salves d’accusations à travers le monde ne cessent pourtant de s’abattre sur le Rwanda.  Dans un rapport accablant publié le 6 février 2023, l'ONG Human Rights Watch affirme sans détour que le Rwanda apporte un soutien logistique, financier et humain au M23. Depuis les récents escalades de violence, la communauté internationale a réagi, après les indignations des populations congolaises qui lui ont reproché son indifférence. Dans un communiqué, le Quai d’Orsay français invite le « M23 [à] cesser le combat immédiatement, et se retirer de toutes les zones qu’il occupe », et appelle « le Rwanda à cesser tout soutien au M23 et à se retirer du territoire congolais », l’accusant d’atteinte inadmissible « à l’intégrité territoriale de la RDC ». Dans le même ordre d’idées, les Etats-Unis ont condamné l'escalade de la violence imputée aux rebelles du M23, et appelé l’armée rwandaise à « retirer ses systèmes de missiles sol-air, qui menacent la vie des civils, des soldats de la force de l'ONU et des humanitaires ». Une réunion du Conseil de sécurité a eu lieu le 20 février dernier sur la situation en RDC dans le but de prendre des mesures immédiates nécessaires à faire baisser les tensions.
Théoriquement, il existe des mesures qui peuvent être prises à l’encontre d’un pays qui agresse un autre pays, participe d’une manière ou d’une autre à sa déstabilisation, ou contribue à menacer la paix et la sécurité internationales. Il s’agit dans tous ces cas, de violations du droit international. Ces mesures vont des sanctions économiques ciblées ou contre le pays tout entier (embargo), aux sanctions diplomatiques (suspension au sein des organisations internationales) en passant par le naming and shaming et les interventions humanitaires et militaires. Autant dire que certaines de ces sanctions ont déjà été prises avec cependant des conséquences relatives. Le Rwanda est presque au banc des accus&eacu...

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